Entrevue : de l’OVNI trash de Thierry Ardisson au média multiculturel d’Harfouch
Créé par Thierry Ardisson en 1992, Entrevue symbolisait la provocation trash des années 90. Racheté en 2015 puis transformé par Omar Harfouch, le magazine est devenu un média politico-culturel multilingue, domicilié à Dubaï, trahissant son ADN originel.

1992 : un bébé signé Ardisson
En 1992, Thierry Ardisson et l’éditeur Michel Birnbaum lancent un magazine hors normes : Entrevue.
Sa promesse ? « Toutes les vérités sont bonnes à dire ».
Le contenu mélange :
- charme soft et playmates,
- interviews chocs,
- affaires criminelles sordides,
- et humour noir provocateur.
Un cocktail inédit qui propulse Entrevue comme symbole du trash et de l’impertinence des années 90. Pour une génération, c’était plus qu’un magazine : un rite de passage.
L’âge d’or (1990-2010)
Durant près de vingt ans, Entrevue et Thierry Ardisson s’impose comme un OVNI médiatique.


- Les couvertures sulfureuses se vendent par centaines de milliers d’exemplaires.
- Les enquêtes tapent là où ça fait mal, sans tabou.
- Le style « Ardisson » est partout : sexe, scandale et subversion.
C’était le bébé d’Ardisson, et il incarnait parfaitement une époque où la presse osait choquer.
20 février 2015 : le premier tournant
Avec la chute des ventes et la crise de la presse, Entrevue vacille.
Le 20 février 2015, le tribunal de commerce de Paris valide son rachat par la société Entrechoc, détenue par Michel Birnbaum avec le soutien des salariés.
But affiché : sauver le magazine sans trahir son ADN.
Mais malgré cette tentative, le lectorat s’érode, le papier s’essouffle, et Entrevue perd son aura.
L’ère Omar Harfouch


Quelques années plus tard, Omar Harfouch, homme d’affaires libanais naturalisé ukrainien, reprend la main.
En 2023, il relance Entrevue avec une nouvelle formule :
- Retour en kiosques,
- Refonte du site web,
- Abandon quasi-total du trash et du sexy, des Playmates au profit de rubriques politique, société, culture.
L’équipe est désormais menée par Radouan Kourak (politique), Walid Harfouch (digital) et Jessica Pierné (évasion).
Résultat : Entrevue devient un média politico-culturel « sérieux », mais sans l’irrévérence d’autrefois.
Une domiciliation aux Émirats
Le site affiche à présent comme adresse officielle :
TILSITT MEDIA – DSO-IFZA, Dubai Silicon Oasis, Émirats arabes unis.
- IFZA est une zone franche de Dubaï, offrant avantages fiscaux et flexibilité.
- Mais rien ne prouve qu’Entrevue dispose d’une licence média officielle aux Émirats.
- Cela ressemble plus à une domiciliation administrative, un “cache-sexe” juridique qui interroge sur la transparence.
En clair : Entrevue est encore immatriculé en France via Tilsitt Medias Consulting, mais joue sur une vitrine exotique à Dubaï.
Harfouch : gauche, droite… ou juste Harfouch ?
Politiquement, Omar Harfouch reste insaisissable :
- À gauche, il se présente comme progressiste, défenseur des minorités et anticorruption.
- À droite, il incarne l’homme d’affaires libéral, mondain, adepte des réseaux économiques internationaux.
- En réalité, il adopte une posture opportuniste, proche d’un style « macronien » : ni gauche, ni droite, mais toujours aligné sur ses intérêts.
Cette ambiguïté nourrit le sentiment que le magazine est devenu une vitrine personnelle plus qu’un projet éditorial solide.
Entrevue devient multilingue
Autre rupture majeure : le site est désormais disponible en neuf langues : arabe, russe, ukrainien, anglais, français, allemand, italien, espagnol, japonais.
- En français : un ton politico-culturel assez classique.
- En arabe : des sujets plus identitaires et géopolitiques, avec des angles différents.
- En russe : une sélection d’articles distincts, centrés sur l’actualité internationale vue par Moscou.
Chaque version ne traduit pas les mêmes articles : le contenu est adapté selon les publics.
C’est une stratégie internationale, mais qui achève de couper les ponts avec l’ADN français originel.
Conclusion : l’héritage trahi
Entrevue n’est plus l’enfant sulfureux de Thierry Ardisson.
Ce qui faisait sa force — sexe, trash, provocation, humour noir — a disparu.
À la place, on trouve :
- un média multiculturel,
- domicilié à Dubaï,
- aux contenus multilingues différenciés,
- piloté par un homme d’affaires à l’ambiguïté politique assumée.
Pour toute une génération, Entrevue représentait un pan de culture populaire, impertinente et libre.
Aujourd’hui, ce bébé d’Ardisson est méconnaissable. Certains diront même : trahi et détruit.

Le 12 septembre 2025